Une rivalité si dure à cerner

Publié le 18 septembre 2025 à 18:04

De juin à septembre, la rivalité entre Alcaraz et Sinner a connu de multiples rebondissements. Tour à tour, les deux rivaux n’ont cessé d’alterner le rôle du chasseur et du chassé, d’outsider et de favori.

Au lendemain de Wimbledon, voici ce que nous avons écrit : “si Alcaraz et Sinner évoluent dans une autre galaxie, l’Italien en est le centre de gravité […] et semble désormais un petit cran au-dessus de son rival.” Seulement un mois et demi après le Grand Chelem londonien, force est de constater que ces propos ont déjà mal vieilli. Si cela peut sauver un peu notre analyse, nous avions précisé qu’Alcaraz avait évidemment tout le talent nécessaire pour inverser la tendance et que “la vérité d’aujourd’hui n’était pas celle de demain”. Après le récital de Carlitos en finale de l’US Open, il est clair que “demain” est arrivé très vite.

En un match, l’Espagnol s’est offert un sixième Grand Chelem, a récupéré sa place de numéro un mondial et balayé toutes nos certitudes et analyses post-Wimbledon. Il faut toujours se méfier de la culture de l’instant. C’est encore plus vrai avec ces deux-là. Ces derniers mois, les deux cracks du tennis mondial n’ont cessé d’alterner le rôle du chasseur et du chassé, d’outsider et de favori.

Après la finale de Roland Garros, on pensait naturellement qu'Alcaraz avait pris un ascendant psychologique, eu égard au scénario rocambolesque de leur duel ainsi que de sa série de cinq victoires de suite contre Sinner. Quand Wimbledon arrive, on se demande bien comment l’Italien pourra faire fi des fantômes de Paris, a fortiori sur une surface où son rival semble plus à l’aise. Pourtant, c’est bien lui qui domine assez nettement la finale dans le temple du tennis. Pour la première fois de sa carrière, Alcaraz paraît impuissant, à court de solution face à un adversaire tout simplement trop fort, même pour lui. Après Wimbledon, Sinner est tenant du titre de trois Grand Chelem et dégage une impression de toute puissance, peu importe la surface et le terrain de jeu.

Logiquement, quand les deux rivaux se retrouvent pour une nouvelle finale à l’US Open, on se dit que le transalpin part avec une petite longueur d’avance, notamment sur dur où il est presque imbattable. Au final, le scénario de Wimbledon se reproduit mais les rôles s’inversent : au tour de Sinner de se sentir impuissant, à celui d’Alcaraz de marquer les esprits en déroulant une partition presque parfaite. 

De juin à septembre, de Paris à New York, leur rivalité a connu plusieurs vies et leur dialogue fut aussi passionnant qu’imprévisible. Si on prend un peu de recul, on se rend compte que leur histoire commune l’a toujours été. Quand Alcaraz débarque sur le circuit comme une comète et devient numéro 1 mondial en 2022 à seulement 19 ans, Sinner est assez loin dans son rétroviseur. L’Italien, pourtant de deux ans son aîné, stagne autour de la 15ème place et peine à franchir un cap. Fin 2022, l’autre attraction du circuit se nomme Rune et on imagine que le Danois, vainqueur à Bercy et contemporain d’Alcaraz, sera son rival. Un an plus tard, à l’été 2023, Sinner connaît ce fameux déclic qui fera de lui le patron incontesté du circuit en 2024.

L’uniformisation des surfaces ajoute de l’incertitude

Ce n’est sans doute pas la première fois que de grands champions rebattent les cartes à une telle vitesse. Mais la rivalité entre Alcaraz et Sinner paraît moins lisible que celle, par exemple, entre Federer et Nadal. Dans la seconde moitié des années 2000, Rafa et Roger écrasent eux aussi le circuit, mais le rapport de force est clair : Federer est le meilleur joueur du monde, Nadal le roi de la terre battue. Et quand, en 2008, le Taureau de Manacor finit par remporter Wimbledon, dans le jardin de Federer, l’exploit marque les esprits mais n’étonne pas complètement : il avait déjà poussé le Suisse dans ses retranchements lors de leur précédente finale sur le gazon londonien.

Si la rivalité entre les deux premiers mondiaux semble si difficile à cerner, on le doit en partie à l’uniformisation des surfaces. On a souvent considéré que Sinner performait davantage sur dur, et qu’Alcaraz s’exprimait mieux sur gazon ou sur terre battue. En réalité, cette distinction n’a plus beaucoup de sens. Avec le ralentissement général des surfaces, l’un comme l’autre peut gagner partout et n’a de marge nulle part. Ces deux-là n’ont pas besoin d’adapter leur jeu ou leur tactique pour performer sur tous les terrains. Si on reprend le parallèle avec Federer et Nadal, la situation était clairement différente : le premier était favori sur herbe, le second l’était sur ocre. Entre Sinner et Alcaraz, le favori  ne se détermine pas par la surface mais plutôt par leur état de forme et par l’impression qu’ils ont pu dégager dans les tours précédant la finale, car c’est désormais uniquement à ce stade qu’ils croisent le fer.

Apprentissage express 

L’avenir nous dira si ce chassé-croisé permanent s’arrêtera et si l’un des deux prendra le dessus sur l’autre pour de bon. Mais étant donné la vitesse à laquelle le duo apprend de ses erreurs, il est probable que l’incertitude demeure. Après sa défaite cruelle à Roland Garros où il s’est montré un poil trop attentiste sur ses occasions de tuer le match, Sinner n’a cessé d’attaquer à Wimbledon (40 montées au filet en finale !). A l’US Open, Alcaraz a impressionné au service et dans sa concentration, deux domaines qui comptaient parmi les rares à pouvoir être améliorés chez lui. Au lendemain de sa claque reçue à New York, l’Italien a promis qu’il ajouterait de la variété à son jeu pour se mettre au niveau de son rival. Bref, le cercle semble infini.

Juste après l’US Open, Carlitos est numéro un mondial et mène 10/5 dans les confrontations qui l’opposent à Jannik. Sa saison 2025 est sans doute la plus aboutie de sa carrière. Mais cette fois-ci, ne comptez pas sur nous pour affirmer qu’il a pris un avantage décisif face à son meilleur ennemi. La seule chose que l’on sait, c’est que l’hydre à deux têtes du tennis mondial, qui s’est partagée les huit derniers Grand Chelem de manière parfaitement équitable, est à des années-lumière de la concurrence. Mais entre eux, le mystère demeure. Vivement la suite. 

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